Les défis économiques qui poussent les éleveurs à envisager d’abandonner leur métier

Un prix d’achat souvent inférieur aux coûts de production

Des marges écrasées et des revenus insuffisants

En 2022, selon une étude de l’INSEE, environ un quart des exploitations agricoles françaises dégageaient un revenu agricole négatif ou inférieur au SMIC annuel. La situation est particulièrement grave pour les éleveurs. Prenons l’exemple des producteurs de lait : selon le réseau européen Farm Europe, le coût moyen de production d’un litre de lait en France se situait autour de 40 centimes d’euro, alors que nombre d’éleveurs ont été rémunérés autour de 33 centimes par litre à certaines périodes récentes. Cela signifie que chaque litre vendu représente une perte nette pour l'éleveur.

Cette spirale économique oppressante tient à la domination des grands distributeurs et à la pression exercée pour maintenir des prix bas sur les étals. Ces politiques de prix, pensées pour satisfaire le consommateur en période de pouvoir d’achat réduit, se font au détriment des producteurs qui, eux, n’ont pas les moyens d’absorber ces baisses. De plus, certaines subventions actuelles, comme les aides de la PAC (Politique Agricole Commune), bien qu'indispensables, peinent à combler l’écart entre revenus réels et coûts d’exploitation.

Un déséquilibre accru par les importations

Certaines filières, comme celles de la viande bovine ou porcine, se retrouvent concurrencées sur leur propre marché par des importations à bas prix. Des pays comme le Brésil ou les États-Unis produisent souvent à moindre coût grâce à des normes environnementales et sanitaires plus laxistes. En 2021, par exemple, environ 30 % de la viande bovine consommée en France était importée, certaines pièces étant proposées à des prix bien en-dessous de leurs équivalents français. Cette concurrence déloyale entraîne une baisse continue des prix pratiqués par les opérateurs locaux.

Les charges agricoles en constante augmentation

Le poids des intrants

Outre la baisse des prix de vente, les éleveurs font face à un renchérissement général de leurs charges. Les intrants agricoles (aliments pour bétail, engrais, carburants, produits vétérinaires, etc.) représentent aujourd’hui une part disproportionnée des coûts de production. En 2022, la hausse généralisée des prix de l'énergie a fait exploser les coûts des carburants et des engrais de 30 % en moyenne. Pour un éleveur qui dépend du fioul pour ses véhicules ou du gaz pour sécher son fourrage, cela représente une charge supplémentaire étouffante.

La pression sur l’investissement

Les normes sanitaires et environnementales européennes, bien qu’essentielles pour répondre aux défis sociétaux, imposent des investissements lourds. Les éleveurs doivent moderniser leurs équipements pour répondre aux exigences croissantes (meilleure gestion des déjections animales, bâtiments plus performants thermiquement, etc.). Par exemple, la mise en conformité d’un bâtiment d’élevage laitier peut coûter entre 50 000 et 150 000 € selon la taille de l’exploitation. Si ces modernisations ne s’accompagnent pas de mécanismes de compensation suffisants, les éleveurs se retrouvent dans une impasse.

Un impact psychosocial majeur sur les éleveurs

Une charge mentale alourdie par les contraintes économiques

Au-delà des chiffres, cette situation a des conséquences humaines désastreuses. Le métier d’éleveur est particulièrement exigeant : journées longues et pénibles, peu ou pas de vacances, et le stress lié à la santé des animaux. Lorsque la rentabilité ne suit pas, ces contraintes deviennent écrasantes. Selon une enquête menée par la Mutualité Sociale Agricole (MSA) en 2021, 37 % des agriculteurs se disaient en situation de détresse psychologique, un chiffre alarmant doublé en moins de trois ans.

Beaucoup d’éleveurs se sentent également socialement isolés face aux critiques du grand public sur l’impact écologique de l’élevage. Bien qu’une majorité d’entre eux cherche à adopter des pratiques plus durables, le manque de moyens financiers freine leurs démarches, renforçant ainsi leur sentiment d’injustice et de culpabilité.

Les solutions pour éviter l’abandon de l’élevage

Rééquilibrer les rapports de force avec les distributeurs

Une des pistes essentielles pour sortir les éleveurs de cette impasse est la revalorisation des prix d’achat. En France, la loi Egalim tentait déjà d’imposer un seuil de prix minimum pour protéger les producteurs, mais son application reste limitée. Certains experts plaident pour un renforcement des dispositifs contraignants, où les intermédiaires (industriels et distributeurs) seraient véritablement obligés d’offrir des prix couvrant au moins les coûts de production.

Mieux accompagner les transitions écologiques

Les politiques publiques doivent également offrir des aides ciblées pour accompagner les éleveurs vers des systèmes agricoles plus durables et diversifiés. L’agriculture régénératrice et l’élevage extensif, par exemple, permettent de limiter les intrants tout en respectant le bien-être animal, mais nécessitent des investissements de départ. Une orientation plus claire dans le cadre de la PAC, avec une valorisation des pratiques favorables à l’environnement, pourrait remettre les éleveurs dans une logique de durabilité économique.

Encourager le circuit court et la transparence

Développer des modèles de vente directe ou locaux permettrait de rétablir de meilleures marges pour les éleveurs. Par exemple, il existe des coopératives ou AMAP (Associations pour le maintien de l'agriculture paysanne) qui aident les producteurs à se connecter directement aux consommateurs. Ces initiatives valorisent aussi les produits régionaux et restaurent un lien essentiel entre éleveurs et citoyens.

Une profession en quête de reconnaissance

Le défi économique qui pousse de nombreux éleveurs à envisager d’arrêter leur activité symbolise une crise profonde du modèle agricole actuel. Entre une pression économique accrue et des attentes sociétales en perpétuelle évolution, les éleveurs ont besoin de soutien pour continuer à jouer leur rôle fondamental dans notre alimentation et dans la préservation de nos territoires. Il est urgent de bâtir un cadre où leur résilience n’est plus optionnelle, mais valorisée à sa juste mesure.

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